4 septembre 2017

Marcelo Dos Reis & Eve Risser / Lawrence Casserley & Jeffrey Morgan / Harri Sjöström Emilio Gordoa Achim Kaufmann Dag Magnus Narvesen Adam Pultz Melbye/ Harri Sjöström or Peter Brötzmann with Guy Bettini Luca Pissavini Francesco Miccolis/ Gianni Lenoci & Francesco Cusa

Timeless Marcelo Dos Reis Eve Risser JACC records 34

Le label portugais JACC devient de plus en plus intéressant. Après un très remarquable STAUB Quartet composé du violoniste Carlos Zingaro, du violoncelliste Miguel Mira, du contrebassiste Hernani Faustino et de Marcelo dos Reis, guitariste omniprésent dans nombreux projets avec Theo Ceccaldi, Carlos Zingaro, Luis Vicente, Onno Govaert, voici Timeless. Créditée unprepared piano and prepared piano, la française Eve Risser lui donne la répartie. Unprepared and prepared acoustic guitar lit-on sur la pochette ornée de motifs gravés qui évoquent le passage du temps dans l’espace. Au moyen des préparations, les deux musiciens transforment la tessiture de la guitare et du piano leur faisant se rencontrer et s’échanger leurs hauteurs respectives, les couleurs et les timbres en jouant des cadences répétitives avec un effet de carillon, de machines insérant un motif mélodique minimaliste dans un ostinato cristallin. Singulière musique qui se détache subtilement d’intervalles raccourcis, de cordes bloquées, de doigtés fugaces enjambant un bruissement ténu. Un affaire de cordes qu’elles soient tirées ou frappées dans la caisse de résonnance du piano ou sur la touche de la six-cordes, qui coïncident, résonnent, débordent dans un affairement accéléré. Il y a une forme de préméditation, mais sur le ton et avec la manière de l’improvisation radicale, un sens de la forme qui échappe à l’entendement et au temps mesuré : les titres Sundial, Hourglass, Water Clock, Timewheel, Chronometer, Pendulum, Balance Spring. Une vivacité, une énergie, un impact rythmique. Du grand art. Surtout que combiner créativement guitare et piano dans les musiques radicales peut se révéler assez ardu.

Exoplanets Lawrence Casserley Jeffrey Morgan Creative Sources CS389CD

Des Exoplanets sont ou seraient des planètes qui pourraient receler la vie qu’on trouve sur la terre et qui se situent hors de notre système solaire. Chacun des six morceaux enregistrés par le spécialiste du live signal processing Lawrence Casserley et le saxophoniste de choc Jeffrey Morgan, aussi clarinettiste « alto » et pianiste, ici au piano sur deux morceaux en concert, portent le nom d’un de ces 35 Exoplanets parmi les milliards d’étoiles de la Voie Lactée : 42 Dracinis b, 55 Cancri b, Kepler 186 f etc… Le principe de la rencontre est que Jeffrey Morgan souffle ou joue du piano en improvisant confronté à la manipulation sonore électro-acoustique en temps réel de ses propres improvisations par l’installation très complexe de Lawrence Casserley (logiciels issus de Max-Msp, un I-Book Apple et trois Ipad dont un ancien protopype très coloré avec lesquels Lawrence contrôle, transforme et altère les moindres détails des structures du son comme s’il jouait d’un orgue ou d’un set de percussions. Les sons extrapolés au départ de la base instrumentale qui alimente l’installation et le jeu de Casserley peuvent se révéler très éloignés  du jeu de l’instrumentiste. Celui improvise au piano de manière subtile (concert au Loft de Cologne 5/10/2014 , plages 2 & 6) et nous fait découvrir les possibilités sonores et texturales de la clarinette alto avec le quel son expression est à la fois proche du free jazz atavique et évoque les musiciens contemporains. Le premier morceau est joué au sax alto (42 Draconis b), les 3,4 et 5 sont consacrés à cette clarinette alto dont il fait éclater le timbre de manière mordante, énergique, avec glissandi, pétages d’harmoniques, grasseyements pas loin de Peter Brötzmann, mais avec une dose de folklore imaginaire balkanique nettement moins forcée. Son jeu de pianiste sombre et nuancé a une belle qualité de toucher et va droit au but. On songe aux pièces de Stockhausen et cie. Le travail de Casserley complète, entoure, s’écarte, détonne les / des improvisations de Morgan avec un bon goût rare créant des nuances sonores, des paysages bruissants et une masse orchestrale d’allure intersidérale d’un type nouveau en constante métamorphose avec une précision fine au niveau de la dynamique et des intensités. Un travail sur les nuances du sombre, reflétant l’immensité de la nuit spatiale et les fréquences émises par les astres. Un dialogue complexe et enchevêtré et dont l’interaction et les réflexes fonctionnent tout à fait autrement que dans un duo acoustique. Un album vraiment intéressant qui va plus loin que leur premier opus Room 2 Room.

Hyvinkää  Move : Harri Sjöström Emilio Gordoa Achim Kaufmann Dag Magnus Narvesen Adam Pultz Melbye 2016 uniSono Records

Move est un quintet sax soprano et sopranino (Harri Sjöström), vibraphone Emilio Gordoa, piano (Achim Kaufmann) batterie (Dag Magnus Narvesen) et contrebasse (Adam Pultz Melbye). Hyvinkää est une longue improvisation de 39 minutes enregistrée à l’Hyvinkää Art Museum. Il semble que l’acoustique de l’espace soit assez (trop ?) réverbérante, obligeant les musiciens à jouer avec une relative retenue en se concentrant sur les détails sonores. Dag Magnus Narvesen joue du bout des baguettes sur les peaux amorties avec des objets en frôlant les cymbales permettant d’entendre le plus clairement possible le piano d’Achim Kaufmann aux sonorités « classiques contemporaines » et les envolées chaleureuses et pleines de nuances du saxophoniste, Harri Sjöström qui semble être l’animateur du groupe. Harri est un maître du soprano dans la lignée de Steve Lacy, avec lequel il a étudié. Son sens des nuances pour chaque note jouée le distingue des ténors qui se servent du soprano pour diversifier leur musique. Le vibraphoniste Emilio Gordoa répand ses légères et fugaces grappes de notes éthérées autour de celles du pianiste. Celui-ci développe un jeu qui convient parfaitement avec celui du sax soprano au point où, à cause de la réverbération, on risque de les confondre. Le contrebassiste soutient et balise les instants, sursauts, frictions, relances, échappées jusqu’à ce que le saxophoniste déchiquète le timbre de son soprano étirant et altérant un jeu qu’il a hérité de Steve Lacy et dont il sait remettre subtilement les paramètres en question quand le besoin se fait sentir. Cela évoque la grande finesse de Trevor Watts à l’époque du SME avec John Stevens et les audaces de son camarade aujourd’hui disparu, Wolfgang Fuchs, avec qui Harri a partagé l’expérience de Nicht Rot Nicht Grun  en compagnie de Paul Lovens et du violoniste alto Karri Koivukoski à la fin des années 80. Contrairement à Move, ce groupe étonnant n’a jamais été enregistré (mais le site de Harri indique un album Po Torch de 1988/89 en préparation !!). Malheureusement, il y a bien longtemps que Paul Lovens a cessé de produire des vinyles sur son label mythique. Par contre, il existe plusieurs enregistrements de Cecil Taylor avec Harri Sjöström (Qua et Qua’Yuba  C.T. Quartet / Cadence 1092 et 1098, Melancholy, Always a Pleasure, Light of Corona / FMP Records) pas piqués des vers. Et un magnifique duo avec un autre sax soprano, Gianni Mimmo (Bauchhund /Amirani). Pour information, l’excellent Achim Kaufmann a enregistré avec Michael Moore, Frank Gratkowski, Mark Dresser, Wilbert De Joode, Thomas Heberer, etc… et Emilio Gordoa a enregistré avec le guitariste Nicola Hein, Ute Wassermann et Richard Scott. Ce qui me plaît spécialement dans ce quintet Move, c’est la manière dont les musiciens jouent ensemble, construisant un jeu collectif cohérent et diversifié où chacun apporte spontanément sa contribution instantanée en interpénétrant leurs sons et actions dans le champ sonore. Un beau concert qui se joue des conditions acoustiques et démontre qu’improviser librement avec cinq musiciens demande un état d’esprit dans lequel une forme d’auto-discipline dans l’écoute mutuelle et les interventions est une attitude fondamentale.

Exit to Now Xol featuring Harri Sjöström & Peter Brötzmann Guy Bettini Luca Pissavini Francesco Miccolis improvising beings ib62 CD



Deux quartettes trompette/bugle – saxophone – contrebasse – percussions pour chacun des deux CD’s  contenus dans le nouvel album du groupe Xol : Guy Bettini (Suisse) à la trompette, Luca Pissavini (Italie) à la contrebasse et Francesco Miccolis (Suisse) aux percussions, un trio de free free-jazz vif qui joue fréquemment avec un invité. Ici, le saxophoniste soprano finlandais installé à Berlin, Harri Sjöström, un maître de l’instrument qui a travaillé avec Cecil Taylor, Paul Lovens, Gianni Mimmo et Wolfgang Fuchs se joint à Xol le 4 juin 2016 à Sowieso à Berlin (CD 1) et le légendaire et fracassant Peter Brötzmann, véritable locomotive de la scène free européenne depuis les années ’60 entraîne le groupe dans un vrai délire le 19 juin 2015 dans le même lieu (CD 2). Le quartet avec Sjöström évolue avec un bel équilibre : par dessus la percussion ludique et virevoltante et le drive puissant (archet ou pizz) du bassiste, les deux souffleurs coordonnent spontanément leurs élans et accordent leur lyrisme. La trompettiste travaille la pâte sonore et fait chevaucher articulations et coups de lèvres et de langue avec une belle énergie. Le saxophoniste est un très solide client alliant un lyrisme lumineux avec un choix d’intervalles peu usités et des colorations détaillées sur les notes dignes d’un des meilleurs élèves de Steve Lacy qu’il a été. Cela donne jeu immédiatement reconnaissable et distinctif. Harri Sjöström a travaillé intensivement avec Cecil Taylor, remplaçant en quelque sorte Jimmy Lyons dans les CT Unit et Ensemble New Yorkais et aussi avec le CT European Quintet avec Lovens, Honsinger et Teppo Hauta-Aho. Il a un style personnel remarquable et complète admirablement  les extemporisations éperdues de Xol (öxö 19 :46 et xöx 29 :23). Le batteur joue à la limite de ses moyens, mais le fait avec conviction, énergie, efficacité et un sens du son du groupe. Son drive infatigable propulse les frictions intenses de la colonne d’air de Sjöström  qui montent inexorablement dans l’aigu et auxquelles répondent le jeu convulsif du trompettiste. Cinq morceaux pour le quartet avec Brötzmann qui valent leur pesant de choucroute arrosé de Chimay (bière préférée de PB lorsqu’il performait en Belgique avec Van Hove et Bennink dans ma jeunesse). Si le CD 1 Xol  Harri Sjöström est enregistré avec clarté en respectant une dynamique raisonnable (j’ai parlé d’équilibre plus haut), le CD 2 Xol Peter Brötzmann démarre sur des chapeaux de roue en fortissimo et le son en est carrément saturé en raison du volume et de la violence. Le batteur se déchaîne, ensevelissant le contrebassiste sous les décombres et poussant / entraîné par le souffleur. Pugnace, véhément, expressionniste, Peter Brötzmann expulse l’air de ses poumons dans des barissements sans équivoques. La colonne d’air est pressurisée par le souffle dément, mordant, abrasif. Le batteur se prend un solo avant que le thème primal imaginé pour la circonstance ne soit projeté dans le public sans ménagement. Brötzm asperge le public de son cri démentiel comme Karel Appel lançait ses poignées de peinture sur la toile. Guy Bettini doit se sentir un peu mis de côté mais réagit par des contrechants désespérés qui surnagent dans la foire d’empoigne. Le batteur est survolté,  mais il frappe soigneusement dans les aigus sur les bords de la caisse et sur les peaux amorties avec des roulements efficaces alors que le bassiste frappe la touche à plaine main et ses doigts courent près du chevalet. Mais le ténor peut laisser flotter une mélopée de deux notes et demie soutenu par l’archet en étirant et grossissant le trait progressivement. Peter Brötzmann est resté fidèle à lui-même et s’accommode de ses compagnons d’un soir du moment qu’ils ne rechignent pas sur la besogne. Bien sûr, la balance n’est pas claire, mais tout se joue dans l’instant, l’énergie et ce lyrisme qui survient en rythme libre, deux notes pour l’essentiel. L’intensité se relâche pour une minute et c’est reparti. Le jeu du batteur finit par imiter avec bonheur et faire corps avec la rafale déferlante du souffleur de Wuppertal. Le morceau n°3, loxol, commence par un solo très habité de Pissavini et Brötzm enchaîne à la clarinette rustique alternant mélancolie et raucité. Le souffleur donne l’impression de s’imposer et d’écouter d’une oreille, mais sa présence gargantuesque pousse ses partenaires à se surpasser. On a droit d’ailleurs dan ce morceau n°3, à un Guy Bettini plus inspiré, jouant l’essentiel. C’est surtout au concert qu’il faudrait assister plutôt que de suivre le disque. Si vous n’avez pas de Brötzmann sous la main, celui-ci fera l’affaire, car PB y est particulièrement endiablé, Francesco Miccolis donnant toute sa mesure. Et vous aurez Sjöström en prime. Improvising beings a encore frappé juste.

Wet Cats Gianni Lenoci Francesco Cusa Amirani AMRN052.

Une longue improvisation en duo piano/percussions parue sur le label Amirani du saxophoniste Gianni Mimmo. Le pianiste Gianni Lenoci travaille régulièrement avec Mimmo en duo ou en groupe, les Reciprocal Uncles, pour lesquels un remarquable cd a été gravé en 2010 sous cette dénomination (Amirani AMRN022). Avec le batteur Francesco Cusa, on entend aussi Lenoci au piano préparé et pour finir discrètement à la wooden flute. La musique du duo est tendue par les groove secs installés par le batteur et autour des quels le pianiste improvise avec un toucher et une classe impressionnantes. On trouve chez lui bon nombre des qualités pianistiques qu’on apprécie chez Agusti Fernandez, Georg Graewe, voire Fred Van Hove. Une belle logique et un sens réel de l’improvisation. La trajectoire du duo traverse des domaines variés proches d’une démarche contemporaine et se rapproche d’un jazz d’avant garde puissant basé sur des tempi autour duquel les deux improvisateurs tournent adroitement durant une belle séquence. Francesco Cusa est avant tout un batteur de jazz à risques qui ne craint pas l’aventure. J’avais beaucoup apprécié un trio roboratif avec l’inoubliable saxophoniste alto sicilien Gianni Gebbia où Cusa était absolument à son avantage. Donc, dans cet album, la musique est remarquable, le pianiste brillant et lumineux avec un savoir faire haut de gamme et le batteur tout à fait à la hauteur. Sachant très bien qu’il ne faut pas attendre des choses très audacieuses, question « liberté », de la part de Francesco Cusa parce que sa pratique est orientée vers la rythmique, je ne vais pas me plaindre. Mais j’aurais préféré une orientation plus chercheuse ou exploratoire au niveau des paramètres sonores et percussifs, des formes et des échanges. On pense à Roger Turner qui vient (enfin !) d’enregistrer avec Fred Van Hove, Martin Blume, Mark Sanders, Paul Lovens ou Marcello Magliocchi, lui aussi de Monopoli comme le pianiste. Cela dit cette musique fera le bonheur de ceux pour qui cette orientation correspond à leurs attentes, car elle est magnifiquement jouée.


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